Boom de l’élevage, multiplication des appellations pour différencier espèces ou qualités de caviar, disparité des goûts et des prix… Même les amateurs ont du mal à s’y retrouver.
Il y a dix ans, un néophyte savait nommer les trois seules appellations de caviar : beluga, osciètre et sévruga. Et tous les pays producteurs et exportateurs, Iran, Azerbaïdjan, Kazakhstan et Russie, bordaient la mer Caspienne.
Aujourd’hui, la donne est plus complexe. L’épuisement des stocks d’esturgeons sauvages et divers problèmes de pollution maritime ont provoqué une raréfaction des œufs. Et une hausse vertigineuse des prix. « Cette année, il n’y a que quelques tonnes de caviar sauvage disponibles dont 3 tonnes d’iranien », explique Kayan, de la Maison Nordique.
Le béluga, la variété la plus réputée, culmine à 1 650 euros le kilo. « C’est simple, résume Franck Galet, directeur général de Kaspia, les prix du sauvage ont été multipliés par dix en dix ans. »
LA « MONDIALISATION » DE L’OR NOIR
Évidemment, de nombreux pays consommateurs, à commencer par la France et les États-Unis, étudient depuis longtemps l’opportunité d’élever des esturgeons pour s’assurer une production constante.
Dans les années 1920, la maison Prunier produisait son propre caviar à partir de poissons présents dans les eaux de la Gironde, de la Garonne et de la Dordogne.
Mais de nos jours, la variété française d’esturgeons, le sturio, n’est pas assez résistante pour répondre aux conditions d’élevage.
Les Français cultivent donc une espèce sibérienne, le baeri, dans les anciens bassins d’élevage de truites, tandis que les Américains poursuivent leurs essais avec une variété endémique, le transmontanus.
Le baeri a d’abord été élevé pour sa chair savoureuse.
Mais depuis la crise de la surpêche en Caspienne, il est plus largement exploité pour ses œufs.
Si les premiers caviars français avaient un goût de vase prononcé, ils sont aujourd’hui d’excellente qualité. « À l’aveugle, affirme Kayan de la Maison Nordique, certains caviars de Sologne surclassent le sevruga. »
Et Prunier, qui a relancé sa production en Aquitaine il y a dix ans, n’hésite pas à mettre en avant ses caviars d’élevage, tant elle est fière, à raison de ses résultats.
D’autres pays se sont lancés à leur tour dans l’élevage. Parmi eux, l’Italie, premier producteur mondial à l’heure actuelle, l’Allemagne, la Suisse, la Belgique l’Espagne, la Grèce, mais aussi la Chine, Israël et l’Uruguay.
En outre, de nombreux programmes sont en cours à Dubaï, au Brésil, et à Hawaï. En 1998, la production mondiale de caviar d’élevage plafonnait à 500 kilos. En 2008, elle dépasse les 70 tonnes. Ce n’est qu’un début, qui ne va pas faciliter la tâche des acheteurs…
COMMENT S’ Y RETROUVER ?
Dans un premier temps, faire fi des « marques » créées par les maisons (Royal, Tradition, Impérial, Héritage…) et se concentrer sur le poisson.
Outre les trois espèces sauvages, béluga, osciètre, sévruga, les espèces d’élevage les plus répandues sont le baeri, 100 % de la production française, le transmontanus , d’origine américaine et largement implanté en Italie ou encore le naccari qui peuple les élevages espagnols.
L’offre se complique avec l’apparition des hybrides, espèces créées dans le but d’augmenter le rendement en œufs. On trouve ainsi des croisements de baeri avec l’osciètre ou avec le naccari. « Mais ils devraient progressivement être abandonnés », affirme Armen Pétrossian de la maison éponyme.
Ensuite, la différence se fait sur le traitement des œufs, le savoir-faire et la sélection plus ou moins qualitative opérée par les vendeurs. La solution, vous l’aurez compris : goûter.
UNE APPROCHE DECOMPLEXEE
Chez Kaspia ou Pétrossian, le plus gros des ventes se fait encore sur le caviar sauvage, tant les amateurs sont habitués à un goût spécifique. « C’est donc à nous de faire découvrir, goûter et apprécier les caviars d’élevage, note Franck Galet de Kaspia.
Le travail de sélection reste essentiel. » La pédagogie et la démystification aussi. Car si la méconnaissance des nouveaux caviars d’élevage est un frein à l’achat, l’image luxueuse et élitiste de l’or noir l’est tout autant. Les principaux acteurs multiplient donc les « portes d’entrée ».
Dans la boutique Fauchon de la place de la Madeleine, un bar à caviar, très ouvert et pas intimidant pour deux sous, s’est ainsi ouvert l’hiver dernier.
Pour 55 euros, on peut goûter une trilogie de caviars sauvages avec une coupe de champagne. D’autres formules permettent de s’initier aux caviars d’élevage pour se faire une idée avant d’acheter.
Chez Caviar Kaspia, une boîte à trois compartiments contenant un assortiment de trois variétés d’élevage, Impérial baeri, esturgeon blanc et Royal Baccari®) offre le même type d’expérience. Chez Pétrossian, la petite boule eggxiting, contenant 12 g de caviar d’élevage pour 27 euros, permet une approche pas trop douloureuse de ce produit de luxe.
CONTREFAÇONS EN LIGNE
Mais attention, perdre ses complexes vis-à-vis du caviar ne doit pas empêcher la vigilance. Sur Internet, les exemples de contrefaçons ne manquent pas.
Attention aux boîtes étiquetées en cyrillique pour faire authentique et vendues aux enchères en ligne. La plupart contiennent en réalité de la chair de poisson micronisée, plongée dans un bain d’alginate, transformée en billes, puis teintée.
Comment reconnaître un faux grain ?
Réponse d’Armen Pétrossian qui doit souvent faire la démonstration à des clients floués : « Écrasez le grain sur une feuille de papier. Le faux disparaît sans laisser de traces tandis que le vrai laisse son enveloppe ainsi qu’une empreinte un peu grasse. »
Dans l’univers du caviar, inutile de vouloir la « bonne affaire ». L’idée est de se faire plaisir avec un produit rare. Quitte à s’offrir 30 grammes par an à partir d’environ 65 euros, c’est avant tout le rapport qualité-prix-satisfaction qu’il faut chercher.
Pas tous les œufs dans le même panier…
Soyons clairs, seuls les œufs d’esturgeon ont droit à l’appellation « caviar », le nom de « caviar d’aubergine » étant juste toléré.
Une restriction qui n’empêche pas différents produits, dont d’autres œufs de poisson, de jouer avec les codes du caviar. C’est le cas des perles noires Arënkha, réalisées à partir de filets de harengs de la Baltique, qui offrent en bouche une texture légèrement résistante et une étonnante sensation iodée
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Les œufs de brochet teintés « vrai/faux » (Dom Petroff), eux, ne trompent personne et assument le détournement avec humour.
Tout aussi ludiques, les œufs de poisson volant, parfumés au wasabi, affichent leurs différences de texture craquante, de taille et de couleur.
Mais les œufs d’escargot, lancés il y a quelques mois sous l’appellation « caviar d’escargot », font nettement moins rire les distributeurs d’or noir.
Reste à savoir ce qu’ils pensent des « perles de truffe », créées par Kaspia qui mixe volontairement l’univers du caviar et du « diamant noir ».